Le bonhomme jaune

Aujourd'hui, je vous emmène, pour la première fois, monter les escaliers à droite du vestibule, il était une fois un "chez moi".

Un appartement avec un minimum de commodité, aucun objet de grande valeur, des meubles de style contemporain sans superflus, une télévision à boutons sur lesquels mon père m'envoyait appuyer fortement afin de changer de chaîne (il avait trouvé un pigeon ! mais j'exécutais avec plaisir !). Sur le meuble bas, la radio d'un style rétro, un tourne disque et ses deux haut-parleurs, sur chacun d'eux un bonhomme jaune.
C'était l'époque de Ringo, Sheila, Claude François... Ah ! Cloclo et les Claudettes ! Lorsqu'ils apparaissaient sur le petit écran, j'adorais, j'imitais les chorégraphies de ces charmantes demoiselles, passionnément, je m'appliquais à la précision des pas, des gestes, je dansais à corps perdu, je dansais au rythme de mes rires, sans conteste j'étais en scène, une artiste en paillette, mes cheveux longs passant d'une épaule à l'autre et mes souliers vernis d'une latte du plancher à l'autre. J'entendais mon père s'extasier avec un humour tout particulier sur celles-ci, et moi aussi, un jour, je serais une vrai Claudette...
Bien des années plus tard, j'ai dansé sur "Alexandrie, Alexandra" lors d'un spectacle à l'occasion de l'obtention de notre brevet d'animateur pour enfants, j'étais devenue, le temps d'une chanson, une Claudette (une tenue un peu plus habillée!), à ce moment précis mes pas dansaient à nouveau devant l'écran de notre salle à manger, tout simplement en train de vivre un rêve éveillé, la petite elsa dansait, elle dansait, elle jouait !
Dans cette salle à manger, il y avait une armoire constituée de deux portes à battant de chaque côté. L'une était réservée à mon père, il y entassait les journaux qui allaient lui permettre de passer tout son dimanche matin à étudier les pronostics et le jargon des courses de chevaux qu'il affectionnait tant, avant d'aller valider son bulletin qui lui permettrait, peut-être, d'être le meilleur jockey virtuel !
L'autre porte renfermait des trésors !!! Des paquets de biscuits, des surcreries, du chocolat !!! Humm, autant je détestais la viande autant j'aimais les sucreries, les fruits et les fameux Chambourcy !
Au milieu, une vitrine où l'on pouvait y voir quelques verres en cristal. C'est devant cette vitrine que je me suis postée, deux ou trois fois, si je me souviens bien, et que j'ai regardé les verres s'animer, s'agiter, trépider lors des tremblements de terre, cela me fascinait ! Tant de questions sur ce phénomène étrange, cette chose que je ressentais passer à travers moi, qui me secouait, mais que je ne voyais pas, d'où pouvait bien sortir cette force et comment faisait-elle bouger les verres...?! Une parenthèse pour vous dire que l'Alsace est une zone sismique et que les colombages des maisons alsaciennes ne sont pas des éléments de décoration premiers mais servent à la sécurité de l'habitat face aux tremblements.
Rangé à côté des cristaux, un service à café alsacien. Pour ceux qui ne connaissent pas, les services alsaciens sont illustrés par des scènes de la vie quotidienne en habits traditionnels. Lorsque mon regard se posait sur ces illustrations, c'était parti ! L'histoire du jour était déjà en train de se dessiner dans mon esprit... Tout comme lorsque dans mon assiette creuse de potage flottaient des pâtes aux formes des lettres de l'alphabet, et hop ! je les faisais grimper sur le rebord de l'assiette pour y écrire des mots, les noms des héros de mes dessins animés préférés.
Dans la cuisine, il y avait toujours la bonne odeur des plats préparés, un évier en émail blanc sur lequel je ne pouvais m'empêcher d'aller, du bout des doigts, prendre un grain de gros sel et de le porter à ma bouche pendant que maman préparait le repas, une table en formica blanc sur laquelle j'agrippais mes mains de toutes mes forces me mettant sur la pointe des pieds et avec beaucoup d'impatience et d'exaspération j'attendais le moment où j'arriverai enfin à voir au-dessus !!!
Et puis un buffet avec une série de portes, une série de tiroirs. Dans l'un d'eux, un petit sac de fille, brillant, décoré de fausses perles et rempli de pièces de monnaie, des centimes, des francs, c'était ma fortune !!!
Elles étaient mes récompenses, que je pouvais gérer, j'avais le choix de les utiliser en allant à la "porte magique" d'à côté ou de les donner à manger à mon bonhomme jaune. Il avait un pantalon bleu, une tête disproportionnée et pour cause c'est par là que j'introduisais le fruit de mon labeur. J'étais fière de faire glisser, une à une, mes piècettes. Comme une "grande" je le serrai tout contre moi jusque devant le guichetier de la banque qui me disait avec le sourire "Ohhh ! Elle a le ventre bien plein votre tirelire, mademoiselle !".
Si ce petit bonhomme jaune anime en moi autant d'importance c'est qu'il a servi, quelques temps plus tard, à acheter du pain.
Il est beau le jeu par lequel on cherche à devenir "grand" et vous savez quoi ce jeu ne doit jamais prendre fin, car on est jamais "grand", l'apprentissage, la découverte, l'évolution...tout est sans arrêt en mutation, tout est livré sans cesse aux changements, et la petite elsa qui est dans mon dedans elle me répète tous les jours de continuer à jouer, car c'est le regard de son coeur qui situe l'importance de ses essentiels, c'est son âme qui préserve et accumule les joies qu'offrent la vie et ces Amours.
J'ai envie de rajouter, quelques lignes sur l'Amour, un jour je vous expliquerai, peut-être, pourquoi je l'écris avec un A majuscule.
L'Amour, celui avec un grand A, ce n'est pas un sentiment que l'on impose, il ne cherche pas à être chéri ou apprécié, ni à se faire connaître, ne dit pas qu'il a raison d'exister au travers de ce qu'il dit ou ce qu'il fait, il est juste Amour. Il ouvre les portes de son temple, porte son visage à découvert, il dit ce qu'il ressent, sur quelles mélodies dansent son coeur, il offre ce qu'il est. Par cette offrande, chacun peut librement, s'il le désire, en prendre une part, laisser ce qui ne lui convient pas, rien n'est imposé, personne n'est soumis à sa loi, il est don et le plaisir intense lorsque de ce don né un partage.